- ÉPIZOOTIES
- ÉPIZOOTIESLes épizooties sont des maladies animales infectieuses et contagieuses, dont la propagation, très souvent rapide et envahissante, entraîne des pertes économiques à ce point élevées que leur étude et leur prophylaxie exigent fréquemment une coopération internationale, sinon intercontinentale.Les épizooties sont des homologues, chez l’animal, des épidémies humaines; en effet, ces deux termes dérivent du grec epi («qui arrive sur») et zoo ou dêmos (populations respectivement animales et humaines). On doit assigner ici une valeur particulière à l’écologie régionale qui conditionne le développement de la maladie.L’épizootiologie, science des épizooties, quelquefois désignée par le terme «épidémiologie», de sémantique plus générale, surtout lorsque la maladie contagieuse animale est transmissible à l’homme (zoonose), se révèle complexe et exige souvent la participation de nombreuses disciplines différentes.L’étude des épizooties offre un triple intérêt:– économique , en raison de la sévérité des pertes infligées au cheptel, dues, isolément ou en association, au taux de morbidité et de mortalité, aux déficits des diverses productions (viande, lait, jeunes, travail, laine, œufs), aux restrictions commerciales imposées par la mise en vigueur de la prophylaxie, aux litiges judiciaires gênant les ventes et achats d’animaux sur pied et de leurs produits, enfin et surtout à la fermeture des frontières annulant l’exportation et supprimant ainsi une précieuse source de devises.En outre, certains agents épizootogènes ont été utilisés volontairement pour la destruction d’une espèce animale considérée comme nuisible, tel le virus myxomateux vis-à-vis du lapin; une guerre biologique, fondée sur la propagation d’épizooties provoquées, représenterait une arme redoutable, en cas de conflit.– hygiénique , car, si de nombreuses maladies contagieuses demeurent strictement animales (épizooties de pestes animales – bovine, équine, aviaire –, de fièvre aphteuse, de myxomatose), certaines (telles la rage, la tuberculose, la brucellose) représentent à la fois des fléaux économiques et des zoonoses majeures et préoccupent conjointement le médecin et le vétérinaire, surtout si l’animal se révèle être la source virulente unique.– didactique enfin, car plusieurs bactéries, mycoplasmes ou virus épizootiques constituent des modèles très intéressants du point de vue de la microbiologie théorique; en outre, certaines chaînes de propagation particulièrement compliquées (arboviroses) représentent des exemples suggestifs et une histoire naturelle en action, à relais multiples, à évolution graduelle avec suppléances réciproques de divers maillons de transmission.Enfin, une modélisation biomathématique peut parfois être proposée (rage) avec simulation sur ordinateur soit de l’extension de la maladie soit de l’efficacité d’un système de prophylaxie.1. Les types de contagionPar rapport à la maladie sporadique, non contagieuse, l’ampleur et la rapidité de la contagion séparent les maladies infectieuses animales en trois groupes, correspondant à ceux observés chez l’homme, par ordre croissant de diffusibilité:– l’enzootie , semblable à l’endémie humaine, de contagion limitée dans l’espace et dans le temps, avec extension lente (rouget, charbon, anémie infectieuse et dourine des équidés, maladie de Teschen du porc);– l’épizootie proprement dite, semblable à l’épidémie humaine, de propagation large et rapide (pestes équine, bovine, porcine, aviaire, fièvre aphteuse, myxomatose, morve équine, clavelée et blue tongue ovines) souvent en vagues successives rythmées (fluctuations undécennales de la fièvre aphteuse);– la panzootie , semblable à la pandémie humaine, évoquant l’envahissement mondial; par surcroît, le germe est le plus souvent pathogène pour la plupart des espèces aninales domestiques et sauvages et l’homme (tuberculose, brucellose, rage, ornithosepsittacose).Différents termes de passage peuvent s’observer entre ces divers types de contagion:– l’endémisation (l’enzootisation) d’une maladie sporadique, le plus souvent déterminée par les concentrations animales en élevage intensif moderne (mammites bovines staphylococciques, streptococciques, pasteurelloses, entérobactérioses, corynébactérioses) à partir d’un microbisme latent des locaux, semblable à certaines manifestations de l’hospitalisme en médecine humaine; dès lors, la juxtaposition de cas sporadiques, sous l’influence de conditions favorables identiques du terrain animal, revêt l’apparence d’une pseudo-enzootie.– l’épidémisation (épizootisation) d’une maladie enzootique peut résulter soit de la multiplication de foyers enzootiques à caractère envahissant (pseudo-épizooties de rage, de rouget, de charbon), soit de l’extension d’une maladie proprement épizootique mais transitoirement en régression. La plupart des épizooties (fièvre aphteuse, myxomatose, pestes animales) évoluent ainsi en sinusoïdes irrégulières, marquant des pics épizootiques paroxystiques séparés par des creux interépizootiques d’enzooties résiduelles rémanentes (enzooto-épizooties).2. La défense contre les épizootiesLes grandes épizooties ont été l’objet de descriptions cliniques complètes et précieuses, bien avant la découverte de leur étiologie: ainsi la rage, qui suscita la terreur dès la plus haute antiquité, la peste et la péripneumonie contagieuses bovines, qui motivèrent la fondation de la première école vétérinaire du monde à Lyon, en 1762, la fièvre aphteuse et la clavelée du mouton, minutieusement décrites dès le XVIe siècle. L’étape suivante, contemporaine de l’ère pastorienne, devait dévoiler l’origine bactérienne ou virale de ces divers processus: c’est ainsi que le virus rabique fut le premier étudié par Pasteur et Galtier dès 1879, le virus aphteux le premier décrit par Lœffler et Frosh en 1898.Aujourd’hui, les chercheurs s’attachent davantage à préciser les modalités de la contagion, afin de proposer, en corollaire utilitaire, les méthodes médicales et sanitaires de lutte spécifique et les systèmes d’application des campagnes prophylactiques, le plus souvent soumises à une réglementation sanitaire sévère tant à l’intérieur des pays qu’aux frontières. Dans chaque nation, un Comité consultatif des épizooties groupe les compétences nécessaires à l’établissement d’une liste de maladies animales réputées contagieuses et soumises à une prophylaxie réglementaire, ainsi qu’à l’élaboration des mesures de police sanitaire spécifiques, en accord avec la réglementation médicale pour les zoonoses. En outre, des organismes internationaux, tels que l’Office international des épizooties (O.I.E.), la Food and Agriculture Organization (F.A.O.), l’Organisation européenne de coopération économique (O.E.C.E.), les Centres africains et panaméricain des épizooties, ainsi que certaines commissions spécialisées se proposent, dans leurs publications périodiques, de colliger les observations épizootiologiques, d’informer les divers pays membres de la situation zoosanitaire mondiale, d’émettre des vœux et des résolutions pour harmoniser la lutte. Enfin, certains laboratoires de référence – tel celui de Pirbright en Grande-Bretagne pour la fièvre aphteuse – identifient les souches qui ont été isolées et en dressent l’inventaire systématique.3. Microbes et virus responsablesL’étude analytique des épizooties considère les divers éléments de la contagion animale et sépare les sources microbiennes naturelles, la réceptivité individuelle et collective des animaux et les modalités de la propagation et de la pénétration de l’agent pathogène.Les sources microbiennes peuvent être telluriques et hydriques (charbon) à cause de l’entretien, de la pérennité des spores bactériennes très résistantes dans les sols, quelquefois endogées pour certaines bactéries (peste humaine) ou certains virus (myxomatose) dans les terriers de rongeurs; animales à partir des sujets malades, des cadavres et aussi des porteurs de germes, qui excrètent et disséminent le contage sans révéler de maladie clinique; inertes, par l’intermédiaire des locaux, des objets, et des instruments de l’exploitation, des véhicules de terre, de mer et d’air, des produits animaux alimentaires (viandes, produits laitiers, abats, conserves, produits opothérapiques congelés ou lyophilisés, semences d’insémination artificielle).La distinction est capitale entre les épizooties déterminées par des microbes parasites stricts exigeant un animal pour se multiplier et s’entretenir (virus, bacilles tuberculeux, morveux, brucelliques) et celles engendrées par des microbes persistant dans le milieu extérieur (charbon), car celles-ci admettent une prophylaxie sanitaire d’éradication grâce à l’abattage, alors que celles-là ne subissent qu’une limitation sous l’influence des prescriptions hygiéniques, à compléter par une vaccination systématique annuelle.Mais la forte résistance naturelle de microbes comme le virus aphteux ou le bacille tuberculeux, qui sont cependant des parasites stricts, oppose un obstacle considérable à la prophylaxie; il en est de même lors de la participation des animaux sauvagesà la contagion (réservoirs et vecteurs sylvatiques).La réceptivité des animaux est soumise à des facteurs intrinsèques prédisposants (espèce, lignée, race, sexe, âge, individu) et à des facteurs extrinsèques adjuvants (mécaniques, physiques, chimiques, biologiques), souvent réunis pour constituer une conjonction morbigène liée à l’environnement écologique (climat, faune, flore). La sélection des races domestiques en vue de leur précocité et de la rentabilité de leur exploitation au mépris de la rusticité de l’animal, jointe à l’élevage concentrationnaire moderne, ont singulièrement accru les risques d’éclosion et de propagation des épizooties, dont la prévention se fonde souvent sur une vaccination systématique. Toutefois, si le terrain propice à l’éclosion d’une maladie contagieuse revêt une importance capitale dans certaines infections (tuberculose), il devient négligeable dans la plupart des grandes épizooties (pestes animales, fièvre aphteuse, myxomatose).En outre, l’unicité ou la multiplicité des espèces animales domestiques et sauvages réceptives pose des problèmes divers à l’hygiéniste. Le cas des infections à propagation multiple (brucellose et fièvre aphteuse chez les animaux à onglons, ruminants et porcs, rage et tuberculose pour toutes les espèces), nanties d’un potentiel de transmission très large, demeure fort difficile à contrôler.Les modalités de la contagion se révèlent très différentes d’une maladie à l’autre et souvent fort complexes. Directement, les microbes peuvent contaminer un animal sain à partir d’un animal infecté; il peut y avoir parfois contagion intra-utérine du fœtus et avortement (brucellose) ou contamination vénérienne à l’occasion du coït (dourine).Indirectement, les vecteurs les plus divers peuvent assurer la transmission, les uns inanimés (aliments, eau, air, contact avec des objets pollués), les autres animés (moustiques, tiques, puces, parasites). Certains virus (arbovirus) exigent du reste une transmission vectorielle systématique, alors que d’autres (myxomatose) empruntent indistinctement, selon l’occasion, les modes directs et indirects de propagation. Les divers schémas de transmission épizootique comprennent ainsi trois étapes: la persistance d’un microbe spécifique dans un réservoir , source continue ou intermittente, sa propagation par un vecteur animé ou inanimé, jusqu’à l’animal réceptif, l’homme pouvant, dans les zoonoses, représenter un maillon complémentaire.Enfin, la pénétration microbienne assigne fréquemment des aspects particuliers à l’épizootie, plus ou moins rapidement diffusible selon les modalités de l’infection: mécanique, par morsure (rage) ou par piqûre d’arthropodes (peste équine, blue tongue , myxomatose), par contact étroit (avortement brucellique, contagion vénérienne de la dourine), par contact direct ou indirect plus ou moins lâche (fièvre aphteuse, peste bovine, morve), surtout à partir de lésions superficielles (contage éolien de la clavelée).4. Propagation des épizootiesL’étude synthétique des épizooties décrit les caractères de la propagation sous ses diverses rubriques: contagiosité, taux de morbidité et de mortalité, cinétique épizootique. En réalité, elle est devenue délicate depuis qu’interviennent les systèmes prophylactiques mis en œuvre, tant sanitaires, par diminution des sources microbiennes et contrôle hygiénique de la propagation infectieuse, que médicaux, par l’immunisation des espèces réceptives. Ainsi, la modification artificielle du génie épidémique des grandes épizooties assigne désormais une évolution très différente au développement des fléaux de l’élevage.La contagiosité essentielle, toujours plus élevée dans les troupeaux vierges, ni antérieurement contaminés ni vaccinés, établit une échelle décroissante des épizooties rapidement diffusibles (pestes animales, fièvre aphteuse, myxomatose) aux enzooties limitées, localisées dans certaines régions polluées (charbon, rouget). Quelques semaines ou mois seulement sont nécessaires à l’envahissement de larges territoires par les vagues aphteuses ou myxomateuses, alors que l’éclosion du rouget ou du charbon reste limitée et de brève évolution.Les taux de morbidité et de mortalité se conjuguent quelquefois pour imprimer à certaines infections l’allure d’un véritable fléau: ceux de la myxomatose sont dans certains cas proches de 99 p. 100 et ont incité à l’utilisation de la maladie pour lutter contre la prolificité dévastatrice du lapin de garenne; à un degré moindre, mais encore élevé, les pestes (bovine, équine, porcine et aviaire) se révèlent extrêmement redoutables, la mortalité oscillant entre 60 et 95 p. 100. Souvent aussi, ces taux se dissocient, soit que la morbidité prime la mortalité (fièvre aphteuse, tuberculose), soit que la mortalité surmonte largement la morbidité (charbon, rage). La maladie paraît alors moins meurtrière et une éducation sanitaire devient indispensable pour révéler le danger plus économique que médical de certaines infections, comme la fièvre aphteuse, apparemment bénigne (de 2 à 20 p. 100 seulement de mortalité générale), mais sévère par ses répercussions séquellaires (cardiaques, mammaires, génitales, podales) et commerciales (entraves réglementaires des transactions).La cinétique naturelle des épizooties concerne la dynamique de la propagation, linéaire, selon un front continu ou suivant les axes de communication, ponctuée, à partir de foyers épars ou procédant simultanément des deux processus. L’ampleur géographique de diffusion s’évalue en nombre de foyers nouveaux allumés par quinzaine ou par mois, par rapport à la superficie envahie et à l’importance du cheptel y stationnant. Dans les épizooties traçantes, les pics paroxystiques croissent brutalement et décroissent par paliers graduels, chaque étage paraissant suivre une courbe gaussienne. Après une vague épizootique s’établit une période de rémission générale, déterminée simultanément ou séparément par l’atténuation de la virulence et de l’agressivité microbiennes, par l’acquisition d’un état d’immunité post-infectieuse, sinon par la sélection de lignées plus résistantes. Le rythme sinusoïdal risque de se réamorcer à partir des réservoirs et des porteurs de germes, par une invasion nouvelle, surtout si un type microbien inédit se manifeste (enzooto-épizootie de fièvre aphteuse, de myxomatose).L’évolution peut aussi s’inscrire dans une cinétique non pas rémittente, mais intermittente (charbon), lorsque spontanément ou artificiellement les manifestations contagieuses disparaissent entre les poussées; c’est ainsi que même l’enzooto-épizootie aphteuse adopte un rythme intermittent sous la pression continue de l’association prophylactique médicale et sanitaire. Enfin, la pathogénie de certaines maladies imprime une destinée cyclique aux épizooties: ainsi la clavelée, qui atteint les troupeaux par quarts d’effectifs pour le temps d’un mois, en raison de la fugacité du stade infectant des sujets claveleux, lors de la décrustation des lésions épidermiques.5. Épizootiologie appliquéeLa principale application des épizooties concerne les contagions provoquées dans le dessein de limiter le développement excessif d’une espèce trop prolifique et nuisible (myxomatose vis-à-vis du lapin, peste porcine vis-à-vis du sanglier, salmonellose vis-à-vis des rats), voire d’infliger des désordres dans l’élevage d’un pays en période de conflit (pestes animales). Mais il est quelquefois difficile d’amorcer et surtout de maîtriser de telles maladies répandues volontairement, d’autant qu’une importation occasionnelle risque de se transformer en implantation pérenne, sinon définitive, si le microbe se trouve dans des conditions favorables d’entretien et de propagation. Aussi le virus choisi ne saurait en aucun cas menacer l’homme ou d’autres espèces animales que celle spécialement visée. Les conséquences des épizooties (économiques, hygiéniques et didactiques) entraînent le corollaire utilitaire des moyens à utiliser pour les conjurer.L’épizootiologie représente alors le fondement même de la prophylaxie, qui ne saurait être définie, puis réglementée qu’à la suite d’enquêtes multidisciplinaires groupant des équipes de vétérinaires, de médecins, de microbiologistes, d’entomologistes, de climatologistes, botanistes, zoologistes et biochimistes. Les préceptes de base sanitaires et médicaux, généraux et spécifiques, doivent enfin s’accorder avec les multiples exigences économiques pour être finalement traduits par une réglementation adaptée à chaque maladie et à chaque stade évolutif, le coût de la prophylaxie ne devant pas excéder le dixième de celui de la maladie. Par ailleurs, les épizooties peuvent entraîner des conséquences graves pour la santé de l’homme, qu’elles risquent d’une part de priver de protéines de qualité, d’autre part d’atteindre directement dans l’éventualité d’une transmission humaine (zoonoses). Enfin, la destinée des épizooties représente une large fresque où s’imbriquent les changements de virulence microbienne, de réceptivité animale de diverses espèces, les suppléances réciproques de réservoirs et de vecteurs; quelques lois générales paraissent s’en dégager.
Encyclopédie Universelle. 2012.